À propos du M.A.U.S.S. |
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1°) Petit historique et présentation |
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La décision de fonder la Revue du MAUSS a été prise en 1981 par quelques universitaires, sociologues, économistes ou anthropologues français insatisfaits de lévolution subie à lépoque par les sciences sociales. Ils leur reprochaient de se soumettre de plus en plus à lhégémonie du modèle économique et à une vision purement instrumentale de la démocratie et du rapport social.
La référence à Marcel Mauss et à la critique de lutilitarisme qui inspirait lÉcole Sociologique française dans le sillage dÉmile Durkheim permettait de rassembler les énergies critiques de manière suffisamment claire et explicite. Une association de 1901 fut ainsi créée qui, tout de suite décida de publier une revue, conçue de manière très modeste à lorigine comme un outil de liaison et de discussion capable à la fois dassumer les enjeux théoriques du projet mais aussi de souvrir aux non-universitaires, aux militants et à toute personne soucieuse de réfléchir en dehors des corporatismes disciplinaires et du jargon académique.
Au départ trimestrielle et totalement artisanale, La Revue du MAUSS, qui sest dabord appelée Le Bulletin du MAUSS (1982-1988), puis, après sa reprise par les éditions La Découverte en 1988, La Revue du MAUSS (trimestrielle), est devenue en 1993 La Revue du MAUSS semestrielle.
Au fil des années, elle a su intéresser bien au-delà du petit public initial et trouver auteurs et lecteurs hors de France. De même, peu à peu, dépassant la posture purement critique qui était la sienne au départ, elle a contribué au développement de tout un ensemble de théories et dapproches originales dont le plus petit commun dénominateur est probablement ce quelle appelle le paradigme du don , qui la font maintenant apparaître comme lorgane dun courant de pensée original dans le champ des sciences sociales et de la philosophie politique. |
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2°) On dit du MAUSS |
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Un internaute australien nous a communiqué cet article dun universitaire américain, lu dans la revue en ligne In These Times. (www.inthesetimes.com) Avec lautorisation de son auteur nous le reproduisons ici car il donne une présentation parfaite (et sympathique) à la fois de la personne et de luvre de Marcel Mauss, et de lesprit qui préside à La Revue du MAUSS
Donnez donc ! ou les nouveaux Maussquetaires
par David Graeber1
Avez-vous remarqué quon ne trouve plus guère de nouveaux intellectuels français ? À la fin des années 70 et au début des années 80, cétait plutôt le trop-plein : Derrida, Foucault, Baudrillard, Kristeva, Lyotard, de Certeau... Mais, depuis, à peu près plus rien. Du coup les universitaires tendance et les intellectuels dernier cri se sont vus contraints de recycler indéfiniment les théories dil y a 20 ou 30 ans, ou bien daller chercher de la métathéorie mirobolante dans des pays comme lItalie ou même la Slovénie.
Il y a beaucoup de raisons à cet état de fait. La première est en rapport avec lévolution politique de la France où lon a assisté à un effort concerté des médias pour remplacer les vrais intellectuels par des têtes-creuses et pontifiantes à laméricaine. Cet effort na pourtant pas été pleinement couronné de succès. La raison la plus importante tient à lengagement politique croissant de la vie intellectuelle française. La presse américaine fait une sorte de black-out sur les nouvelles culturelles qui concernent la France depuis que celle-ci, avec le grand mouvement de grève de 1995, est devenue le premier pays à avoir rejeté radicalement le « modèle américain » de léconomie en refusant de démanteler son système de protection sociale. Aussitôt, dans la presse américaine, la France apparut sous les traits du mauvais élève sévertuant en vain à nager à contre-courant de lhistoire.
Bien sûr, ce nétait pas cela qui allait déranger les lecteurs américains habituels de Deleuze et Guattari. Ce que les universitaires américains attendent de la France, cest de la hauteur intellectuelle, la capacité de nous faire vibrer avec des idées dérangeantes et radicales qui démontrent par exemple, la violence inhérente aux conceptions occidentales de la vérité ou de lhumanité, ou des choses de ce genre , mais sur un mode qui nimplique aucun programme politique déterminé ni, plus généralement, un quelconque appel à sengager concrètement en quoi que que ce soit. Il nest pas difficile de comprendre pourquoi cest ainsi que raisonne cette catégorie sociale les chercheurs et les universitaires à laquelle tant les élites politiques que 99% de la population dénient la moindre pertinence politique. Bref, alors que les médias américains insistent sur la folie française, les universitaires sont à la recherche de penseurs français glamour.
Voilà pourquoi vous nentendez jamais parler de certains des chercheurs français parmi les plus intéressants daujourdhui. Comme par exemple, ce groupe dintellectuels réunis autour de lappellation plutôt incommode de Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales, ou M.A.U.S.S., qui a décidé de sattaquer aux fondements philosophiques de la théorie économique. Ce groupe puise son inspiration chez le célèbre sociologue français du début du XXe siècle, Marcel Mauss, dont luvre la plus fameuse lEssai sur le don (1924), est sans doute la plus magnifique réfutation jamais écrite des hypothèses qui sont à la base de la théorie économique. À une époque où lon nous serine à longueur de temps que le « libre marché » est le résultat à la fois naturel et nécessaire de lhumaine nature, le travail de Mauss qui démontre que non seulement la plupart des sociétés non occidentales ne sorganisent pas en fonction de quoi que ce soit qui ressemble aux principes du marché, mais que cela est vrai également de la plupart des Occidentaux modernes apparaît plus pertinent que jamais.
Petit retour en arrière. Mauss est né en 1872 dans une famille juive pratiquante des Vosges. Son oncle, Émile Durkheim, est considéré comme le fondateur de la sociologie moderne. Durkheim sest entouré dun cercle de brillants collaborateurs, parmi lesquels Mauss, assigné à létude de la religion. Ce cercle, cependant, fut décimé par la Première Guerre mondiale. Beaucoup disparurent dans les tranchées, dont le fils de Durkheim, et Durkheim lui-même mourut de chagrin peu après. Il ne restait plus que Mauss pour recoller les morceaux.
Tout indique quil ne fut jamais pris pleinement au sérieux dans ce rôle dhéritier présomptif. Dune érudition extraordinaire (il parlait au moins douze langues, dont le sanscrit, le maori et larabe classique), il lui manquait toutefois la gravité quon attend dun grand professeur. Boxeur amateur dans sa jeunesse, solidement bâti, du genre joueur et plutôt original, il était plus enclin à jongler avec une dizaine didées brillantes à la fois quà bâtir des grands systèmes philosophiques. Il passa sa vie à travailler sur cinq livres en même temps (sur la prière, la nation, les origines de la monnaie, etc.) sans jamais en achever aucun. Pourtant, il réussit à former une nouvelle génération de sociologues et à inventer, presque en solitaire, lanthropologie française tout en publiant une série dessais incroyablement novateurs dont chacun a donné naissance à un pan entier de la théorie sociologique.
Mauss était aussi un socialiste révolutionnaire. Déjà, étudiant, il donne des contributions régulières à la presse de gauche et il restera presque toute sa vie un membre actif du mouvement coopérativiste. Fondateur dune coopérative de consommation parisienne, quil aida longtemps à gérer, il fut chargé de prendre contact avec le mouvement coopérativiste étranger (cest à ce titre quil passa quelque temps en Russie après la Révolution). Pour autant, Mauss nétait pas marxiste. Son socialisme sinscrivait davantage dans la lignée de Robert Owen ou Pierre-Joseph Proudhon. Il rejetait la croyance commune aux communistes et aux sociaux-démocrates que la société pourrait être transformée au premier chef par laction étatique. Le rôle de lÉtat, selon lui, est plutôt de fournir un cadre légal à un socialisme qui doit plutôt émerger de la base en inventant des institutions alternatives.
Cest ainsi que la Révolution russe le plongea dans une ambivalence profonde. Excité dun côté par la perspective dune expérience socialiste authentique, il était horrifié, de lautre, par le recours systématique des bolcheviques à la terreur, par la suppression des institutions démocratiques et par lessentiel de leur « doctrine cynique que la fin justifie les moyens », qui nétait rien dautre, pensait-il, que lamoralité du calcul marchand légèrement transposée.
Son essai sur le don représentait avant tout une réponse aux événements de Russie notamment à la NEP décrétée par Lénine en 1921 et qui renonçait aux tentatives précédentes dabolir le commerce. Si même en Russie, qui était probablement la société européenne la moins monétarisée, il savérait impossible dabolir le marché par décret, alors de toute évidence, en déduisait Mauss, il allait falloir que les révolutionnaires se mettent à réfléchir beaucoup plus sérieusement à ce quest le marché en réalité, doù il vient, et à ce qui pourrait prétendre le remplacer de manière plausible. Il était temps de prendre en compte les résultats de la recherche historique et ethnographique.
Les conclusions de Mauss étaient surprenantes. Tout dabord, il apparaissait que presque tout ce que la science économique avait à dire sur lhistoire économique était faux. Lhypothèse partagée par tous les fanatiques de la libre concurrence, à lépoque comme aujourdhui, est que le mobile essentiel des êtres humains est le désir de maximiser leurs plaisirs, leur confort et leurs possessions matérielles (en un mot, leur « utilité ») et quen conséquence toute interaction humaine significative peut être analysée en termes de relations marchandes. À lorigine, explique la version officielle, il y a eu le troc. Pour obtenir ce que lon désirait, on était obligé déchanger directement un bien contre un autre. Mais comme ce nétait pas pratique, il fallut inventer la monnaie et en faire le moyen déchange universel. Les techniques déchange qui apparurent ensuite (le crédit, la finance, les Bourses) ne furent que de simples conséquences logiques de cette première invention.
Le problème, comme Mauss sen convainquit rapidement, cest quaucune société na jamais reposé sur le troc. Au contraire, ce que les anthropologues découvraient, cétait des sociétés dans lesquelles la vie économique sinspirait de principes profondément différents et où les objets circulaient sous la forme de dons et où à peu près tout ce que nous considérerions comme relevant de laction « économique » se basait sur une démonstration de générosité et sur un refus de calculer avec précision qui a donné quoi et à qui. À loccasion, ces « économies de don » pouvaient devenir hautement compétitives, mais cétait alors dune manière radicalement opposée à la nôtre : au lieu de lutter pour accumuler le plus possible, les gagnants étaient ceux qui sarrangeaient pour donner le plus possible. Dans des cas fameux, comme celui des Kwakiutl de la Colombie britannique, cela pouvait déboucher sur de dramatiques défis de générosité par lesquels des chefs ambitieux sefforçaient de sécraser les uns autres en distribuant des milliers de bracelets dargent, de couvertures ouvragées, ou des machines à coudre Singer et même parfois en détruisant leurs richesses ils jetaient alors à la mer des bijoux de famille réputés ou mettaient le feu à dénormes piles de biens précieux pour défier leurs rivaux de faire de même.
Tout cela peut sembler bien exotique. Mais jusquà quel point, sinterrogeait Mauss ? Même dans notre société, ny a-t-il pas quelque chose qui résonne étrangement dans lidée de don ? Comment se fait-il que celui qui reçoit un don de la part dun ami (un verre, une invitation à dîner, un compliment) se sente en quelque sorte tenu de rendre la pareille ? et que celui qui y échoue sen trouve diminué ? Ne trouve-t-on pas là des exemples de sentiments humains universels même sils sont dune certaine manière minorés dans notre société alors que dans dautres, ils formaient le soubassement du système économique ? Et même dans notre système capitaliste, les impulsions et les critères moraux de ce type ne sont-ils pas à la racine de nos aspirations à des visions alternatives du monde et à une politique socialiste ? Cest en tout cas très certainement ce que pensait Mauss.
À bien des égards, lanalyse de Mauss ressemble étroitement aux théories marxistes de laliénation et de la réification développées à peu près à la même époque par des auteurs comme Georg Lukacs. Selon Mauss, dans les économies qui reposent sur le don, les échanges ne revêtent pas la dimension impersonnelle quils prennent sur le marché capitaliste. En fait, même lorsque des objets de grande valeur passent dune main à lautre, ce qui importe vraiment cest la relation entre les gens ; lobjet de léchange est la création de liens damitiés, ou la mise en jeu des rivalités et des obligations. Cest seulement à la marge quil sagit de faire circuler des richesses. En conséquence tout est personnalisé, même la propriété : dans les économies du don les biens précieux les plus fameux bijoux de famille, colliers, armes, manteaux de plumes semblent toujours posséder une personnalité propre.
Dans une économie de marché, cest exactement le contraire qui se passe. Les transactions apparaissent uniquement comme un moyen de sapproprier des biens utiles. En théorie, les qualités personnelles de lacheteur et du vendeur sont totalement non pertinentes. Il en résulte que tout, jusquaux personnes elles-mêmes, y est traité comme sil sagissait de choses (considérez dailleurs sous cet angle lexpression « les biens et services »). La différence principale avec le marxisme, cependant, est que les marxistes de lépoque invoquaient un déterminisme économique radical, alors que Mauss soutenait que dans les sociétés sans marché et du coup dans toute société pleinement humaine à venir , l« économie », au sens dun domaine daction autonome concerné uniquement par la création et la distribution de richesses, nexiste tout simplement pas.
Mauss ne sut jamais très bien quelle conclusion pratique en tirer. Lexpérience russe lavait convaincu que les relations dachat et de vente ne peuvent pas être éliminées dune société moderne, au moins « dans un avenir prévisible », mais que lon peut se débarrasser de lethos du marché. Il est possible dorganiser le travail sur un mode coopératif, de garantir une protection sociale effective et de créer un nouvel ethos selon lequel la seule justification à laccumulation de la richesse serait la capacité à tout donner. Avec, au bout du compte, une société dans laquelle les valeurs les plus hautes consisteraient dans « la joie de donner en public, de la dépense artistique généreuse, dans le plaisir de lhospitalité dans les fêtes publiques ou privées ».
Vu dans une perspective actuelle, tout cela peut sembler quelque peu naïf. Mais pour lessentiel, les intuitions centrales de Mauss semblent encore plus percutantes aujourdhui quil y a 75 ans maintenant que la « science » économique est devenue bel et bien la religion révélée de lâge moderne. Tel était, en tout cas, le sentiment des fondateurs du MAUSS.
Le projet du MAUSS naît en 19802 à la suite, paraît-il, dun déjeuner entre un sociologue français, Alain Caillé, et lanthropologue suisse, Gerald Berthoud. Sortant de quelques jours de colloque interdisciplinaire sur le don, ils constatent avec stupéfaction quaucun des savants réunis ne semblait avoir soupçonné que la générosité ou une véritable préoccupation pour le bien-être dautrui puissent constituer des mobiles significatifs du don. En réalité, le présupposé commun était que les « dons » nexistent pas en réalité ; grattez assez profondément et vous finirez toujours par découvrir, derrière toute action humaine, une stratégie de calcul égoïste. Plus bizarrement encore, les savants congressistes faisaient lhypothèse que cette stratégie égoïste constitue toujours et nécessairement la vérité profonde de laffaire ; plus réelle en tout état de cause que tout autre motif qui pourrait sy mêler. Comme si pour être scientifique et « objectif », il fallait être complètement cynique. Pourquoi cette obligation de cynisme ?
Pour lexpliquer, Caillé en vint à incriminer le christianisme. La Rome ancienne préservait encore quelque chose du vieil idéal aristocratique de la largesse. Les notables édifiaient des monuments et des jardins publics, et cétait à qui subventionnerait les jeux les plus magnifiques. Mais, de toute évidence, cette générosité était aussi blessante. Une des coutumes favorites consistait à jeter des pièces dor et des joyaux à la foule, et à la regarder se ruer dessus et se battre dans la boue pour sen emparer. Cest en réaction à de telles pratiques odieuses que les premiers chrétiens développèrent leur conception de la charité. La charité véritable ne doit sappuyer sur aucun désir daffirmer sa supériorité, de gagner des faveurs ou, plus généralement, sur aucun motif égoïste de quelque ordre quil soit. Si on peut penser que le donneur a gagné quelque chose dans laffaire, alors cest que son don nen était pas un.
Mais cette vision, à son tour, soulève des problèmes sans fin puisquil est très difficile dimaginer un don qui ne rapporte rien. Même un acte absolument exempt dégoïsme est susceptible de marquer des points auprès de Dieu. Ainsi fut prise lhabitude de scruter dans chaque acte la part dégoïsme qui sy dissimule et de considérer que cest elle qui compte vraiment. Cest le même mouvement de la pensée quon retrouve systématiquement dans les sciences sociales modernes. Les économistes considèrent, comme les théologiens chrétiens, que sil entre du plaisir dans un acte généreux, alors dune manière ou dune autre il lest un peu moins. Ils ne divergent que sur lappréciation morale de la chose. Cest pour contrecarrer cette logique particulièrement perverse que Mauss insistait sur le « plaisir » et la « joie » de donner. Dans les sociétés traditionnelles, personne ne voyait de contradiction entre ce que nous appellerions le self-interest, lintérêt égoïste (une notion intraduisible dans la plupart des langues humaines, soit dit en passant), et le souci des autres. Le point fondamental dans le don traditionnel, cest quil obéit à ces deux mobiles en même temps.
Cest dans ce genre de discussions en tout cas que sengagea le petit groupe de savants francophones (Caillé, Berthoud, Ahmet Insel, Serge Latouche, Paulette Taieb) qui allaient devenir le MAUSS. En réalité le groupe démarra sous la forme dune revue, baptisée Bulletin du MAUSS une très petite revue imprimée au petit bonheur et sur du mauvais papier , que les auteurs concevaient aussi bien comme une sorte de plaisanterie que comme lamorce dun travail scientifique sérieux, voire comme la revue porte-drapeau dun vaste mouvement international alors inexistant. Caillé écrivait des manifestes. Insel samusait à imaginer les grands congrès anti-utilitaristes mondiaux de lavenir. Les articles sur léconomie alternaient avec des extraits de romans russes. Mais, progressivement, le mouvement commençait à prendre corps. Vers le milieu des années 90, le MAUSS était devenu un impressionnant réseau de chercheurs allant des sociologues et des anthropologues aux économistes, aux historiens ou aux philosophes dEurope, dAfrique du Nord ou du Moyen-Orient dont les idées sexprimeraient dans pas moins de trois formules de la revue3, dans une importante collection de livres (tous en français) et dans des rencontres annuelles.
Après les grèves de 1995 et lélection dun gouvernement socialiste, les uvres de Mauss lui-même ont connu en France un regain dintérêt considérable avec la publication dune nouvelle biographie et dun recueil de ses écrits politiques. De son côté, le groupe du MAUSS est devenu de plus en plus engagé politiquement. En 1997, Caillé rédige un gros article intitulé « 30 thèses pour une gauche nouvelle », et le MAUSS commence à consacrer ses rencontres annuelles à des thèmes politiques. La réponse des Maussiens aux injonctions permanentes dadopter le « modèle américain » et de démanteler le système français dÉtat-providence fut de commencer à propager une idée tout dabord défendue par le champion de la Révolution américaine Thomas Paine : le revenu minimum garanti. La vraie réforme de la protection sociale, explique le MAUSS, ne passe pas par la liquidation des acquis sociaux, mais par une reformulation complète de ce que lÉtat doit aux citoyens. Débarrassons-nous des stages et des politiques spécifiques pour les chômeurs, et à la place, créons un système dans lequel chaque citoyen français se voit garantir le même revenu de base (par exemple, 20 000 euros versés directement par lÉtat). Après, à chacun de jouer4.
Il nest pas très facile de savoir comment situer cette gauche maussienne, et dautant moins qu ici ou là, M. Mauss est présenté comme une alternative à Marx. Il serait assez facile de sen débarrasser en présentant les Maussiens comme des super-sociaux-démocrates, guère soucieux de transformer radicalement la société. En reconnaissant que le marché est pour partie inévitable, les « 30 thèses » de Caillé par exemple rejoignent Mauss ; mais, à linstar de ce dernier, elles visent à labolition dun capitalisme défini par une poursuite du profit financier devenue à elle-même sa propre fin. À un autre niveau, cependant, lattaque maussienne contre la logique du marché est autrement plus profonde et plus radicale que tout ce quon trouve ailleurs aujourdhui dans le champ intellectuel. Cest précisément pour cette raison sans doute que les intellectuels américains, et particulièrement ceux qui se croient les plus radicaux et les plus prompts à déconstruire tous les concepts sauf ceux dappât du gain ou dégoïsme ne savent tout simplement pas quoi faire des Maussiens et que leur travail a été largement ignoré.
(traduit par Pierre Eliac)
1. David Graeber est professeur danthropologie à luniversité de Yale, États-Unis. Cet article est paru dans la revue In These Times (21 août 2001) sous le titre « Give it away », et était annoncé en couverture avec en gros titre « The new maussketeers ».
2. En fait en 1981 [NdT].
3. Le Bulletin du MAUSS (1982-1988), puis La Revue du MAUSS trimestrielle (1989-1992), et enfin La Revue du MAUSS semestrielle, la formule actuelle née en 1993.
4. Ici, David Graeber attribue au MAUSS les premières positions présentées en fait au départ par Philippe Van Parijs sous le nom dallocation universelle, alors que le MAUSS défend un revenu de citoyenneté nullement incompatible avec le maintien du salaire minimum et de certaines mesures de politique sociale spécifiques le cas échéant. Les deux positions ont en commun daffirmer un principe inconditionnel dhumanité ou/et de citoyenneté hiérarchiquement premier par rapport à toute considération defficacité instrumentale. Par ailleurs, 20 000 euros nont de sens quà titre de capital inconditionnel et non de revenu minimum.
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3°) Principaux thèmes |
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Cest dans La Revue du M.A.U.S.S. qua été amorcée (au moins en France), la discussion de :
lallocation universelle, le revenu de citoyenneté
la socioéconornie (A. Etzioni), la nouvelle sociologie économique (M. Granovetter, R. Swedberg)
la critique de la théorie des jeux
lactualité des travaux de K. Polanyi
la nécessité de créer, sous létiquette dhumanités modernes (socioéconomiques, sociohistoriques, etc.) un enseignement interdisciplinaire à lUniversité
la pertinence actuelle des catégories de droite et de gauche
la place de lutilitarisme dans les sciences sociales et en philosophie
la nécessité dexplorer des voies nouvelles dans la lutte contre le chômage. Le M.A.U.S.S. est à lorigine de lAppel des 35 publié dans Le Monde du 28 juin 1995, qui donnera naissance à lAECEP (Association pour une économie et une citoyenneté plurielles)
du rôle du tiers secteur, de léconomie solidaire et des associations
la question de la confiance
lopposition universalisme/relativisme
la critique de loccidentalisme et du fétichisme de la croissance
la réévaluation de la place de Marcel Mauss en sociologie
lélaboration du " paradigme du don "
etc.
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4°) Qui écrit dans La Revue du MAUSS ? |
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Étrangère à tout académisme et à tout mandarinat, La Revue du M.A.U.S.S. ouvre ses colonnes à de parfaits inconnus étudiants, praticiens, chercheurs, écrivains
Mais elle nest pas non plus fermée à des auteurs de renommée internationale
En économie : S. Bowles (Massachussets) R. Boyer (Cepremap), H. Denis (Paris I), J.-P Dupuy (Polytechnique, Stanford), M. Guillaume (Paris IX), A. 0. Hirschman (Princeton), S. C. Kolm (EHESS), J.L. Le Moigne (Aix-Marseille), A. Orléan (Polytechnique), D. North (prix Nobel déconomie), K. Polanyi(), J.M. Servet (Lyon II), Ph. Van Parijs (univ. Louvain), C. Arnsperger (univ. Louvain), P. Cahuc (Paris I), etc.
En sociologie : J. Baechler (Paris V), M. Callon (CSI, École des mines), R. Castel (EHESS), J. Elster (Oslo), A. Etzioni (Washington Congress), A. Evers (Bielfeld), A. Gouldner (), M. Granovetter (Evanston), Ph. dIribarne (Cepremap), B. Latour (CSI, École des mines), D. Le Breton (Strasbourg), R. Swedberg (Stockholm), I. Silber (Univ. Bar-Illan, Israël), S. Kalberg (Univ. Boston, USA), Y. Lambert (CNRS) T. Perna (Italie), etc.
En philosophie : J.-M. Besnier (Compiègne), J. Bidet (Paris X), C. Castoriadis (EHESS ), J. Dewitte (Berlin), R. Esposito (Naples), J.-M. Ferry (Univ. libre de Bruxelles), J.-J. Goux (Rice Un. Texas), P. Hirst (Londres), B. Karsenti (Lyon II), E. Laclau (Essex), C. Lefort (EHESS), C. B. McPherson (), R. Misrahi (Paris I), E. Morin (EHESS), C. Mouffe (Westminster), C. Taylor (Mac Gill), M. Hénaff (Univ. San Diego, USA), D. Howard (Univ. Stony Brook, New York), etc.
En anthropologie : M. Anspach (Polytechnique), A. Babadzan (CNRS), G. Charachidzé (EHESS,), G. Dalton (Texas), D. de Coppet (EHESS), M. Douglas, R. Girard, R. Hamayon (EPHE), 0. Herrenschmidt (Paris X), P. Jorion, L. Scubla (Polytechnique), D. Sperber (Polytechnique), A. B. Weiner (New York ), R. Jamous (CNRS), S. Trigano (Paris X), etc.
Politique, questions de société, autres disciplines : Denys de Béchillon (Pau), J.-M. Belorgey (Conseil dÉtat), B. Canonne (Caen), F. Dosse (Paris X), D. Duclos (CNRS), B. Ginisty (Témoignage Chrétien), A. Gorz, R. Lane (Yale), P. Lévy (Montréal), J. Lurçat (physicien, Paris XI), 0. Mongin (Esprit), T. Paquot (Urbanismes), J.-C. Perrot (EHESS), H. Raynal (écrivain), J. Robin (Transversales), A. Salsano (Edit. Bollati Boringhieri), I. Wallerstein (EHESS), J.P. Le Goff (CNRS), B. Perret (Plan, Esprit), J.C. Michéa (philosophe, Montpellier) B. Viard (univ. Aix-Marseille), etc.
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5°) Léquipe de La Revue du MAUSS semestrielle |
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Directeur de la publication : A. Caillé.
Secrétariat de rédaction : A. Insel.
Conseillers de la direction : Gérald Berthoud, Philippe Chanial, François Fourquet, Jacques T. Godbout, Serge Latouche.
Conseil de publication : Jean Baudrillard, Hubert Brochier, Giovanni Busino, Cornelius Castoriadis (),Henri Denis, Vincent Descombes, François Eymard-Duvernay, Mary Douglas, Jean-Pierre Dupuy, Michel Freitag, Roger Frydman, Jean Gadrey, André Gorz, Chris Gregory, Marc Guillaume, Philippe dIribarne, Stephen Kalberg, Pierre Lantz, Bruno Latour, Claude Lefort, Robert Misrahi, Edgar Morin, Thierry Paquot, René Passet, Jean-Claude Perrot, Jacques Robin, Paulette Taïeb, Philippe Van Parijs, Annette Weiner ().
Anthropologie : Marc Abélès, Mark Anspach, Cécile Barraud, David Graeber, Roberte Hamayon, André Itéanu, Paul Jorion, Philippe Rospabé, Gilles Séraphin, Lucien Scubla, Michaël Singleton, Camille Tarot, Shmuel Trigano.
Économie, histoire et science sociale : Geneviève Azam, Arnaud Berthoud, Éric Bidet, Genauto Carvalho, Pascal Combemale, Annie L. Cot, Alain Guéry, Marc Humbert, Jérôme Lallement, Jean-Louis Laville, Vincent Lhuillier, Jérôme Maucourant, Gilles Raveaud, Jean-Michel Servet.
Écologie, environnement, ruralité : Pierre Alphandéry, Marcel Djama, Jocelyne Porcher, Éric Sabourin, Wolfgang Sachs.
Paradigme du don : Dominique Bourgeon, Mireille Chabal, Anne-Marie Fixot, Pascal Lardelier, Paulo Henrique Martins, Henri Raynal, Julien Rémy, Dominique Temple, Bruno Viard.
Philosophie : Jean-Michel Besnier, Francesco Fistetti, Marcel Hénaff, Michel Kaïl, Philippe de Lara, Christian Lazzeri, Pascal Michon, Chantal Mouffe.
Débats politiques : Cengiz Aktar, Antoine Bevort, Pierre Bitoun, Jean-Claude Michéa, Jean-Louis Prat, Joël Roucloux, Alfredo Salsano, Patrick Viveret.
Sociologie : Norbert Alter, David Alves da Silva, Rigas Arvanitis, Yolande Bennarrosh, Michel Dion, Denis Duclos, Aldo Haesler, Annie Jacob, Michel Lallement, Christian Laval, David Le Breton, Louis Moreau de Bellaing, Sylvain Pasquier, Ilana Silber, Roger Sue, Frédéric Vandenberghe, François Vatin.
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6°) Le paradigme du don |
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Cet article de 13 pages résume le paradigme du don et ses principaux enjeux.
Télécharger Le paradigme du don (13p., au format PDF, 68 Ko) |
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